L'auteur

Titulaire d'un Doctorat en philosophie et d'une maîtrise en histoire, l'auteur est restée fidèle à ses deux «initiateurs» en philosophie, Nietzsche et Kierkegaard, mais admire tout autant Spinoza, Russell, Arendt...
Marie-Pierre Fiorentino

dimanche 10 janvier 2016

Un désir au-delà de la « beauté ».



À ma Muse.


            La beauté physique, indépendamment des critères esthétiques en cours dans une société ou des goûts individuels, est la puissance d’attraction exercée par les corps jeunes et bien portants, puissance d’autant plus poignante qu’elle est inconsciente car elle ne se révèle qu’à ceux qui l’ont perdu. Elle est l’éclatante dénonciation du temps révolu pour ceux dont la gorge se serre en l’admirant.
            Mais cette attraction est-elle autre chose que la nostalgie de son propre corps, de sa propre personne jadis – et ce jadis n’est qu’hier – étrangère à la réalité du temps ? Est-elle autre chose que l’instinct de survie se révoltant contre l’inéluctable, autre chose que l’excitation des sens soulagés d’éprouver encore une stimulation sans s’apercevoir que celle-ci, en tentant de prolonger ce qui ne peut l’être, accélère sa disparition ?
            Tomber amoureux d’un corps jeune lorqu’on ne l’est plus soi-même, le désirer, le posséder : érotisme du pauvre qui s’est laissé ruiner par les ans sans avoir rien su leur prendre en échange. Aimer ainsi, c’est esclavage de vampire, illusion de désespéré qui s’ignore.
            Probablement Platon l’avait-il compris, lui qui invite à ne pas consommer de la chair fraîche mais à idéaliser la beauté qui s’en dégage pour la transcender en Beauté spirituelle. Mais en libérant le désir de la prison du corps, dont la beauté n’est qu’un épisode, il l’enferme dans la prison de l’esprit où son mystère la rend plus envoûtante encore.
            Imaginons un désir d’un autre genre que ces deux-là où la beauté physique ne serait pas le motif ni la beauté spirituelle le but. Ce désir assumerait de se réaliser sans se consumer de ne pas l’être car il aurait la puissance d’être sa propre fin, en toute lucidité. Il ne serait plus manque ni souffrance mais plaisir. Alors nous appelerions beauté non pas une cause extérieure mais notre propre création, non pas notre dépendance à un idéal physique ou moral mais notre liberté dans l’immanence. Nous deviendrions, en quelque sorte, des spinozistes de la création belle.


 Le Garn, 8-10 janvier 2016.