À Denis
La théorie de
l’évolution est de nature scientifique. Elle rend compte, sous forme de lois, des
modifications de la matière vivante observables et quantifiables
universellement à l’échelle de la vie et non de l’homme.
On pourrait
considérer la théorie d’Auguste Comte selon laquelle l’humanité est passée par
trois états successifs ( l’état théologique, l’état métaphysique, l’état
scientifique ) comme un complément à cette théorie. Comte exprimerait par la
loi des trois états l’évolution de l’esprit humain comme les paléontologues
puis généticiens héritiers de Darwin celle du corps.
Or, malgré tous les
efforts de Comte, père du Positivisme et des sciences sociales, sa théorie n’est
pas scientifique car son objet d’étude échappe à toute mesure. L’invention,
depuis, du test de QI, loin de constituer une objection, le confirme. Ce test est
incapable de mesurer ce qu’il annonce car il n’existe pas de définition
scientifique de l’intelligence et celle-ci n’est de toutes façons pas à elle
seule l’esprit.
À ce titre, les
neurosciences qui observent par IRM les zones actives du cerveau, stimulées par une manipulation, une
réflexion, une émotion ou une sensation représenteraient un espoir. En prenant
en compte des fonctions cérébrales telles que la créativité, l’imagination, la
réactivité, une base de données de ces images ne permettrait-elle pas d’élaborer,
sur quelques générations, une théorie scientifique de l’évolution de l’esprit
humain ?
Cependant, l’esprit,
mens en latin, ce sont aussi les
mentalités. L’histoire des mentalités serait alors l’étude de l’évolution de
l’esprit humain. Mais, fille de la Nouvelle Histoire, elle évite toute théorisation.
Que connaît-elle avec certitude ? Certains faits. Mais quant à leurs causes,
elle ne peut souvent les établir, pour reprendre le terme de Veyne, que par
rétrodiction. Ces causes morales, psychologiques, religieuses, culturelles,
bref spirituelles par opposition à
matérielles ne peuvent se mesurer et encore moins se réduire à des lois. Ainsi
l’histoire, cette science humaine qui a heureusement renoncé à tout
historicisme, ne produit pas de théorie de l’évolution du mens. Pas plus que l’approche généalogiste adoptée par Nietzsche
pour comprendre les effets, sur la vie, de l’esprit, cette entité plus
instinctive que consciente, plus grégaire qu’individuelle.
Mais si cette
absence de théorie de l’évolution de l’esprit humain avait une raison plus
simple encore : l’esprit n’évoluerait pas. Si le progrès et donc son revers
nécessaire, la régression, était ce à quoi il était voué ?
Ce qu’idéalistes et
autres spiritualistes bornés méprisent tant, le corps et la matière, possèderait
un pouvoir d’adaptation et donc de survie bien supérieur à tout ce que pourrait
concevoir un esprit volontaire, conscient, intelligent. Et cette capacité ne
serait pas, de surcroît, le propre de l’homme, créature semblable aux animaux
et aux végétaux soumis à la même nécessité. La violence déchaînée par le
darwinisme n’exprimait – et ne continue à exprimer – rien d’autre que
l’insurmontable dégoût de cette humiliation.
Pourtant, les
idéalistes et autres spiritualistes perspicaces se contenteront de cette
impossibilité à formuler une théorie de l’évolution de l’esprit puisqu’elle rend
inattaquable leur métaphysique toute fondée sur la suprématie de cette
substance immatérielle.
En réalité,
susceptible de progrès et non pas d’évolution, l’esprit ne dépend d’aucun autre
mécanisme que ceux créés par l’homme lui-même. De cette contingence naît la
liberté. Or, toute théorie scientifique reposant sur des lois, une théorie
scientifique de la liberté serait une contradiction en soi. Tant qu’aucune
théorie de l’évolution de l’esprit n’est formulable, l’humanité échappera
partiellement au déterminisme et au hasard. Elle sera libre, y compris de
s’autodétruire.
Ainsi, plutôt que
de déplorer une absence de théorie de l’évolution de l’esprit humain qui serait
par défaut, ne vaut-il pas mieux se réjouir qu’elle soit impossible à formuler
par excès ?
Le Garn, 3-6 décembre 2015