Les menus arrangements avec sa
conscience que sont les compromis moraux de type jésuitique sont d’autant plus
écoeurants qu’ils sont pratiqués et excusés par des moralisateurs. C’est
pourquoi la lecture des Provinciales de
Pascal est au premier abord réjouissante. Oui, « la vraie morale se moque de la morale ». Et on se sent complice
du philosophe, empli comme lui d’une juste indignation devant les hypocrites et
autres tartuffes à la solde du religieux qui s’est fait politique. On jubile de
lire dénoncée la direction mal menée des consciences faibles ou complaisantes
et on aspire à devenir meilleur, c’est-à-dire à traquer en soi-même celui que
le confesseur jésuite, moins pointilleux, laissait en paix.
« En soi-même » et
non chez autrui. Les lecteurs perspicaces se garderont donc du vertige de
devenir meilleurs par comparaison à leurs semblables. Le devenir par rapport à
ce qu’on était auparavant est une épreuve plus décisive et sauvegarde d’un
orgueil mal placé – car l’orgueil ne l’est pas toujours.
Mais quand il l’est, armé de la
sottise et de l’ignorance, il conduit à s’autoproclamer réformateur des autres.
La morale ou Dieu ou les deux l’exigeraient. Ces réformistes tombent alors dans
le précipice appellé « pureté », précipice déjà bien plein tant à
chaque époque la réaction au prétendu relâchement moral est prétexte au pire.
« Catholiques » mais aussi « cathares » se sont de leur
temps emparés du même suffixe grec pour porter en étendard leur pureté, grâce à
quoi les premiers, après s’être séparés des orthodoxes ( ceux qui suivaient la « droite
doctrine », il ne fallait pas être en reste ) ont pu allègrement
exterminer les seconds qui leur reprochaient leur impureté ( et un peu leurs
prétentions sur leurs fiefs ). Historiquement, on finit toujours par être
l’impur de quelqu’un.
Qui qu’ils soient,
ces pourfendeurs d’une soi-disant immoralité se laissent ennivrer par le mal,
celui qu’ils imaginent en autrui et celui qu’ils commettent. Car pour remplacer
une morale par une autre, ils commencent par détruire, humilier, blesser ou
tuer. Ainsi naît le fanatisme, quand les enfants se font plus sévères que leurs
parents, les élèves plus formels que leurs maîtres. Ces fanatiques-là refusent
tout compromis parce que le compromis qui les a d’abord justement choqués
devient un prétexte pour combler, par la destruction de ceux qui l’acceptent, l’absence
de tout projet constructif.
Sous cet angle, le
jésuitisme décrié par Pascal apparaît comme un moindre mal. Sa tolérance pour
les entorses à la règle est plus ridicule que révoltante ; elle est la petite
porte de sortie à la taille d’un homme moyen. Peut-être que savoir se contenter
de cette médiocrité a fini par tenir lieu aux pères jésuites de « sagesse »
tant paraît sage, par recherche du moindre mal, tout ce qui fuit la plus grande
souffrance.
P.S. Spinoza, Voltaire auraient-ils été assez pessimistes pour
imaginer que le fanatisme serait encore une source d’inspiration pour qui
regarde sa société en 2013 ?
Le Garn, janvier 2013.