L'auteur

Titulaire d'un Doctorat en philosophie et d'une maîtrise en histoire, l'auteur est restée fidèle à ses deux «initiateurs» en philosophie, Nietzsche et Kierkegaard, mais admire tout autant Spinoza, Russell, Arendt...
Marie-Pierre Fiorentino

dimanche 15 avril 2012

Batka.

Batka signifie « petit père » en russe. C’est le nom que Gary donne au compagnon que son chien Sandy lui ramène d’une escapade dans Los Angeles. Batka est un berger allemand. Mais Gary fréquente aussi des chats, un python et même des hommes de nationalités, d’ethnies, de pays, de villes et de religions bigarrés. Face à cette débauche de diversité, le racisme apparaîtrait comme la plus dérisoire des absurdités s’il n’était pas aussi indéracinable.

C’est au zoo que Gary apprend qu’on ne guérit pas du racisme. Batka est en réalité un Chien Blanc, un chien dressé par des Blancs américains – on ne dit pas encore étasuniens dans les années 1960 – pour agresser les Noirs américains. Pas d’autre remède que de lui tirer une balle dans la tête. Gary, flingue à la main, en pleure et s’insurge : « Non, merde, jamais. Qu’est-ce que j’en ai à foutre, moi, des Noirs. Ce sont des hommes comme les autres. Je ne suis pas raciste. »

Jean Seberg, l’épouse de l’écrivain, ne l’est pas non plus, qui milite et se ruine dans la lutte pour l’égalité des droits. Jean n’est pas raciste mais elle a la mauvaise conscience de sa race. Ça reviendrait presque au même. Gary le brame à chaque page. Tout accepter de l’autre parce qu’il n’est pas de ma race, c’est du racisme. Statufier l’autre en victime revient au même que le désigner coupable, si le seul motif est qu’il n’est pas de ma race. Car le racisme érige le cas particulier en norme générale pour effacer les individus derrière une catégorie. Les hommes seront égaux quand on pourra critiquer n’importe lequel d’entre eux sans être suspecté de racisme. Gary ne s’en prive pas.

En attendant, il y a des chiens blancs, ce qui donne l’idée au Noir Keys de dresser Batka à devenir un chien noir. La connerie est multicolore. C’est sans doute pour cela que l’on parle de « couleurs politiques ». A Paris, mai 68 dégoûte autant Gary qu’aux Etats-Unis l’assassinat de Martin Luther King. Il tente de se purifier de ce crétinisme dans une scène de frénésie désespérée au chapitre XXIII. Mais on dessoûle de la colère comme du reste et il faut continuer à vivre dans le monde tel qu’il est.

Dans ce monde, les chiens peuvent être dressés au racisme, alors les hommes qui sont plus chiens qu’eux… Mais Batka a une excuse : il ne sait pas ce qu’il fait. La faute de l’humanité est de s’imaginer qu’elle a droit à la même.

Romain GARY, Chien Blanc, 1970.

Le Garn, mars-avril 2012.