L'auteur

Titulaire d'un Doctorat en philosophie et d'une maîtrise en histoire, l'auteur est restée fidèle à ses deux «initiateurs» en philosophie, Nietzsche et Kierkegaard, mais admire tout autant Spinoza, Russell, Arendt...
Marie-Pierre Fiorentino

dimanche 6 novembre 2011

Le meilleur et le pire de l’espoir ou quelle valeur accorder à l’injonction de franchise.

Petite casuistique
Un proche me demande un avis sincère sur un projet ayant peu de chances d’aboutir ou une réalisation ratée. Dois-je le lui donner au risque de le peiner ou le lui dissimuler ?

Ma réponse sceptique ou le point de vue logique
J’aurais tendance à m’abstenir. Au nom de quoi me prévaloir de mon expérience ou de mon goût, forcément singuliers ? Ils ne constituent en rien une connaissance infaillible. Mais l’abstention, fût-elle une attitude philosophique – et peut-être justement parce qu’elle l’est – risque d’être interprétée comme un aveu trop clair, le fameux « silence éloquent. »
La réponse de Molière ou le point de vue social
Devrais-je alors imiter Philinte, l’honnête homme qui trouve le biais pour ne pas mentir tout en restant aimable ? Ou au contraire Alceste qui livre avec sincérité mais sans tact ses impressions, aussi déplaisantes soient-elles ? A travers ces personnages du Misanthrope, la question touche autant à la moralité qu’à la rhétorique. Cette dernière triomphe en réduisant la franchise à une affaire de style. Et on ne sait plus s’il faut plaindre Alceste de l’inconséquence du monde ou le blâmer de son entêtement. Mais peut-être qu’à lui comme à Philinthe, l’essentiel a échappé.
Ma réponse kierkegaardienne
Car que désirait réellement notre interlocuteur en sollicitant notre franchise ? Songeait-il à l’intransigeante vérité ? Ses lèvres ont prononcé « franchise. » Ne rêvait-il pas « espoir » ?
« Mais certains projets ne sont pas raisonnables ! » Cette réponse récuse la raison car l’espoir est un sentiment ; est-on jamais parvenu à raisonner un amoureux ? « Mais c’est cruel de laisser quelqu’un espérer en vain ! » Comme si briser l’espoir ne l’était pas. « Mais c’est entretenir l’illusion ! » En réalité, est-ce que je n’appelle pas ici illusion l’espoir de l’autre que je réprouve ? Quelle condescendance, quel mépris trahit l’avertissement « tu te fais des illusions » ! « Enfin, on ne doit pas mentir à ceux qu’on aime ! » La liberté offerte à l’espoir n’est pas mensonge. L’existence est-elle réellement sans imprévus et sans folies ? Le véritable mensonge ne serait-il pas de répondre : « Laisse tomber, tu n’as aucune chance » puisqu’on n’en sait rien ?
Alors me revient cette phrase de Kierkegaard, « Car celui qui espère toujours le meilleur vieillit dans les déceptions, et celui qui s’attend toujours au pire est de bonne heure usé. » ( Crainte et tremblement. )

Et pourtant…
…si j’admets l’espoir mystique qui reste une affaire existentielle et individuelle, je rejette l’espoir collectif, religieux ou en un « ordre nouveau » comme dans les idéologies politiques du XX° siècle. Guerres de religion, génocides et autres exterminations en sont les fruits les plus pourris.
Face à cet espoir-là, la morale érigeant la franchise en devoir prendrait un autre sens, celui de nous protéger contre la propagande et la manipulation, bref, contre l’illusion sous son aspect le plus vil. Ce serait le Devoir Politique. Encore un espoir…

Le Garn, été 2011